L’Oréal, ou comment bâtir une culture apprenante à l’échelle mondiale
- kmazou
- 5 nov.
- 5 min de lecture
Comment apprendre quand on est 90 000 à travers le monde, dans des cultures, des langues et des métiers aussi divers ?
Chez L’Oréal, le learning n’est pas seulement une fonction RH, c’est un levier stratégique et culturel.
Rencontre avec Aurélie Lebrun, Directrice People Development & Learning dans la division L’Oréal Dermatological Beauty, qui a fait du développement des compétences un véritable catalyseur de transformation.
Du marketing au learning : une trajectoire guidée par le sens
“Pendant 18 ans, j’ai occupé des postes marketing chez L’Oréal. Et un jour, j’ai demandé à mes équipes où elles me verraient après.” La réponse fut unanime : dans les ressources humaines.
Pour Aurélie Lebrun, cette transition vers le People Development and Learning s’est imposée comme une évidence. “Mes équipes me percevaient comme quelqu’un de profondément engagé dans leur développement. Et il est vrai que je viens d’une famille d’enseignants : revenir au learning, c’était comme retrouver ma langue maternelle.”
Cette reconversion est plus qu’un changement de poste : c’est un manifeste. Elle incarne la conviction que la performance durable ne repose pas sur les process, mais sur la capacité collective à apprendre, évoluer et transmettre.
Le learning, un levier stratégique du business
Chez L’Oréal, la formation irrigue toute la stratégie du groupe.“Pour moi, le learning est avant tout un levier de création de valeur. Il s'ancre dans une culture d'entreprise forte, propulsant les transformations business via le développement stratégique des skills pour assurer une croissance et une performance durable ”
L’Oréal, structure sa vision du learning autour de cinq axes :
Renforcer la culture One L’Oréal, ciment commun d’un groupe mondial.
Soutenir la stratégie People, en donnant à chacun les moyens de piloter sa carrière.
Accompagner les transformations business, en préparant les équipes aux compétences du futur.
Multiplier les leaders, non pas en les formattant, mais en les aidant à révéler leur singularité.
Favoriser l’intelligence collective, en créant des espaces de co-création et de dialogue.
Le learning devient alors un multiplicateur d’impact : “Nous préparons les collaborateurs aux exigences du futur tout en assurant une croissance pérenne. C’est un pilier de transformation au service du business.”
Centraliser sans uniformiser : l’équilibre global/local
Former à grande échelle impose une gymnastique subtile : celle de l’équilibre entre centralisation et adaptation locale.“Le vrai challenge, c’est de trouver le bon point d’équilibre entre une cohérence globale et une pertinence locale. Trop centraliser nuit à l’engagement. Trop décentraliser dilue l’impact.”
Chez L’Oréal, la stratégie et les standards d’excellence sont pensés globalement, tandis que les modalités d’activation se construisent en dialogue constant avec les zones et les pays.
“Nous alignons nos programmes sur des standards communs, mais nous laissons la liberté d’adapter les formats, les langues, ou les fuseaux horaires. Cela permet d’ancrer les apprentissages dans la réalité culturelle et réglementaire de chaque marché.”
Une vigilance particulière est apportée à la proposition de valeur : un programme n’a d’impact que si l’apprenant en perçoit le bénéfice personnel et professionnel. “Quand le participant identifie ce qu’il y gagne, son engagement est décuplé.”
Une culture apprenante vivante : du “push” au “pull”
Bâtir une culture apprenante mondiale ne repose pas seulement sur l’offre de formation, mais sur la manière de la faire vivre.
« Pour moi, une culture de l’apprentissage se construit par une stratégie de Hum/ Sing /Shout. C'est une symphonie pour s'assurer que les offres de formation et de développement (L&D) sont toujours au premier plan. Cette stratégie de marketing de l’offre donne aux programmes de formation l'attention qu'ils méritent et maintient l'engagement de l’équipe L&D ».
Par exemple chez l’Oréal :
En hum, L’accès au LMS est visible tous les jours dans l’expérience employé sur son profil collaborateur comme dans son Teams. Sur notre site interne, une expérience learning fait toujours partie du calendrier éditorial. Le hum assure une notoriété top of mind de l’offre et en fait une partie intégrale de la culture et de la routine de l’organisation.
En sing, les collaborateurs partagent avec leurs équipes les points clés des formations auxquelles ils ont assisté. Ils parlent de leur expérience de training à la cafétéria, dans les couloirs ou sur linked in pour un impact plus large. De plus, les offres peuvent être repoussées en liaison avec les impératifs métiers saisonniers. Cela crée plus de pertinence et d’engagement.
En Shout, l’ambition est de créer des campagnes coup de poing, globales, ultra visibles, mémorables et qui créent l’excitation. La university week chez L’Oreal est un moment clé de starification de notre offre Learning avec un dispositif d’activation globale incluant newsletters, posters, films, animation dans les sièges des filiales.
Cela permet de générer de l’intérêt immédiat, de booster la participation et de renforcer l’importance du L&D pour le succès individuel et collectif.
Humaniser le digital learning
À l’heure de l’IA et de la massification des formats, Aurélie Lebrun reste vigilante : “L’apprentissage est une expérience profondément humaine. Le digital n’a de sens que s’il s’inscrit dans un parcours plus large, collectif et incarné.”
Pour maintenir ce lien, L’Oréal mise sur des formats hybrides : micro-learning, travail en petits groupes, feedback managérial, storytelling ou gamification.“Notre rôle est de créer des expériences émotionnelles, pas seulement cognitives. C’est dans l’émotion que s’ancrent les apprentissages durables.”
Son credo : less is more.“Moins de contenu, plus de vécu. Mieux vaut peu de théorie et beaucoup d’expérimentation : le bac à sable, c’est ce qui fait la différence entre un programme qu’on suit et un programme qu’on s’approprie.”
Former des leaders apprenants
Dans la vision de L’Oréal, la culture apprenante ne s’arrête pas aux collaborateurs : elle commence par les leaders.Nous sommes attentifs au développement de leaders authentiques, inclusifs et agiles, exemplaires en matière d'agilité d'apprentissage, et capables de stimuler l'intelligence collective.
“Nos managers sont les premiers ambassadeurs du learning. Ce sont eux qui encouragent, accompagnent et donnent du feedback sur la mise en pratique.”
De par mon parcours, j’estime que le manager est l'architecte clé d'un apprentissage humain et performant pour les collaborateurs. Sa mission stratégique inclut d'évaluer finement la maîtrise des compétences requises, de co-construire le plan de développement individualisé et d'offrir un feedback continu sur la progression, ancrant ainsi durablement les comportements.
Crucialement, le manager est encouragé à sanctuariser des temps collectifs tels que les "Lunch & Learn" pour transformer les contenus digitaux en discussions concrètes, encourageant la réflexion personnelle et l'engagement à l'application. Cet espace nourrit un langage commun, renforce l'accountability via le partage des apprentissages, et peut intégrer des expertises externes pour une performance collective durable
L’intelligence humaine augmentée
Interrogée sur les tendances RH qu’elle juge surexploitées, Aurélie répond sans détour :“On parle beaucoup d’intelligence artificielle. Moi, je préfère parler d’intelligence humaine augmentée — ou mieux, d’intelligence collective augmentée.”
Pour elle, la technologie doit amplifier la créativité, pas la remplacer.Et le learning est justement ce qui permet de relier les compétences techniques à la dimension humaine : empathie, curiosité, agilité, résilience, esprit critique.
Dans un monde incertain, la flexibilité et la capacité à apprendre en permanence via des modules personnalisés seront essentielles.
Apprendre à durer
Derniers conseils pour assurer une performance durable ?
Être intentionnel sur l’alternance de période de pic et de récupération pour gérer son énergie dans la durée.
Être connecté pour amplifier l’impact collectif
Être aligné avec ses valeurs. Aligner intentions et actions, et être exemplaire.
Aurélie applique ce principe au quotidien, jusque dans sa pratique du surf.
“Dans un monde imprévisible, il faut savoir garder son équilibre. Le surf m’apprend à me concentrer sur ce que je peux maîtriser, à m’adapter sans perdre le cap.”
La métaphore est parlante : la culture apprenante, chez L’Oréal, c’est avant tout un état d’esprit — celui d’une entreprise qui apprend à surfer sur le changement.
Chez L’Oréal, le learning n’est plus une fonction support, mais une boussole stratégique. Il fédère les collaborateurs autour d’une vision partagée, stimule l’intelligence collective et ancre durablement la culture du groupe dans le futur.
“Apprendre, c’est s’adapter. Et dans un monde qui bouge vite, la vraie performance, c’est celle qui sait se réinventer.”



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